Un cercle vicieux, c’est très simple à comprendre, et pourtant c’est très difficile d’en sortir.
L’arthrose nous offre un exemple parfait.
- Vous commencez à avoir des douleurs articulaires, par exemple des douleurs aux genoux en montant les escaliers.
- Donc, vous prenez l’habitude de moins utiliser ces articulations qui vous font mal. Par exemple, vous vous mettez à prendre l’ascenseur.
- Résultat, vos articulations se dégradent encore plus vite, et vous avez encore plus de douleurs articulaires.
- Donc, vous réduisez encore plus l’exercice, etc. CQFD.
Trop simple pour être vrai ? Et pourtant si ! Je vais vous expliquer pourquoi et comment vous sortir de ce cercle vicieux, en douceur, sans vous faire mal.
Un vieux monsieur dont les mains gambadent sur le clavier
Mais commençons par une image encourageante : celle de Vladimir Horowitz, probablement le plus grand pianiste du vingtième siècle. Mort à l’âge de 86 ans, il s’est produit sur scène jusqu’aux dernières années de sa vie.
Dans cette vidéo, il interprète un impromptu de Schubert lors d’un concert à Vienne, en 1987. Il a 84 ans. C’est un vieux monsieur mais son talent est intact, admirez plutôt.
Vous trouvez peut-être son port assez raide, et son jeu de main un brin statique ? Mais c’est normal, car Vladimir avait de l’arthrose lui aussi, comme presque tout le monde à cet âge !
Pour autant, a-t-il l’air de souffrir le martyr ? Et surtout, a t-il arrêté de faire du piano ? Heureusement que non !
C’est parce qu’il a continué à pratiquer son art, et donc à exercer ses doigts plusieurs heures par jour que son arthrose des mains est restée supportable.
Les articulations s’abîment quand on ne s’en sert pas
Cela vous semble contre-intuitif ? Vous pensez que, quand on a de l’arthrose, l’exercice abîme encore plus vos articulations ?
Eh bien vous avez tort. Mais si ça peut vous rassurer, la plupart des gens pensent comme vous. C’est ce que démontre une étude réalisée en 2006[1] dans laquelle une majorité de patients souffrant d’arthrose du genou croient que faire de l’exercice va augmenter leurs symptômes, alors que ceux qui pratiquent régulièrement réalisent que c’est le contraire qui se passe.
Pourquoi ?
Les douleurs articulaires sont dues à l’usure et à l’inflammation des cartilages, dont le rôle est d’amortir le choc entre les os. Pour jouer ce rôle d’amortisseur, le cartilage doit rester bien élastique. Cette élasticité est rendue possible par le liquide synovial qui circule dans le cartilage. Le liquide synovial c’est en quelque sorte l’huile de vos articulations.
Comme un rouage grippé : il faut ajouter de l’huile, et faire tourner
Le liquide synovial assouplit l’articulation et lubrifie la jointure avec l’os, ce qui permet de réduire les frictions. Mais il a un autre rôle très important : il nourrit votre cartilage.
Il fournit l’oxygène et les nutriments aux chondrocytes, les cellules qui composent le cartilage. Il élimine le dioxyde de carbone et les déchets métaboliques, mais aussi les micro-organismes et les débris issus de l’usure de l’articulation.
Pourquoi fait-il tout cela ?
Parce que le cartilage est un tissu non vascularisé, ce qui signifie qu’il n’y a pas de vaisseau sanguin. C’est le liquide synovial qui est en charge de tout l’entretien du cartilage.
Or, lorsqu’une articulation est immobile, le liquide synovial, comme une huile trop froide, devient gélatineux. Lorsqu’elle est remise en mouvement, cela stimule la production de liquide synovial, et il retrouve sa fluidité. Plus il y en a, moins il y a de pression et d’efforts sur les articulations.
Quand les sportifs disent qu’ils s’échauffent, ce n’est pas au figuré : ils augmentent la souplesse de leurs articulations en réchauffant le liquide synovial. C’est pourquoi après un peu d’exercice, quand on se sent “chaud” on commence à avoir moins mal et on sent nos articulations plus souples.
Cela signifie qu’une articulation qui n’est pas assez mise en mouvement respire mal, se nourrit mal, se nettoie mal. Pas étonnant que cela aille de pire en pire.
Moins d’activité physique, c’est plus de douleurs liées à l’arthrose
Le lien entre diminution de l’activité physique et arthrose a été établi par de nombreuses études. Comme le dit une étude du Journal of Ageing Research parue en 2011, “Le manque d’activité physique des patients souffrant d’arthrose devient un cercle vicieux en matière de santé et de progression de la maladie”. Je n’ai rien inventé ! [2]
Plus de 80 % des patients souffrant d’arthrose n’ont pas d’activité physique régulière. Cela a même des conséquences directes sur l’espérance de vie[3]. Les capacités respiratoires sont entre 20 et 30 % moins élevées que pour les personnes d’âge équivalent mais ne souffrant pas d’arthrose. Les risques cardiovasculaires sont aussi plus importants[4].
Un autre cercle vicieux qui se met en place à l’intérieur du premier est la cachexie rhumatoïde : un mot très compliqué qui désigne une diminution de la masse musculaire remplacée par des graisses. Selon une méta-analyse parue en 2018, près d’un tiers des patients souffrant d’arthrose sont touchés[5]. Or le poids est un facteur aggravant pour l’arthrose.
Le cercle vicieux devient donc :
- j’ai des douleurs articulaires à cause de l’arthrose ;
- du coup je fais moins d’exercice ;
- du coup je prends du poids ;
- cela aggrave la pression sur mes articulations, et augmente mes douleurs ;
- du coup je fais moins d’exercice.
Sur le papier, c’est très simple à comprendre, n’est-ce pas ?
Mais, me direz-vous avec raison, quand j’essaye de faire de l’exercice, j’ai beau savoir que c’est un cercle vicieux, mes douleurs sont bien réelles.
C’est pourquoi, pour échapper à ce cercle vicieux, il faut privilégier des formes d’exercice très douces, qui vous permettent de remobiliser progressivement vos articulations en minimisant les douleurs.
Un secret qui n’en est pas un, et auquel vous avez tous accès
Comment faire travailler vos articulations mais en réduisant l’effort, et en réchauffant plus rapidement votre liquide synovial ?
La solution est un autre liquide, que vous connaissez tous, et dont vous avez déjà tous expérimenté les bienfaits : l’eau.
Lorsque vous êtes dans l’eau, 90 % de votre poids est supporté par la pression de l’eau. Cela veut dire que l’effort que vous imposez à une articulation, par exemple pour soulever votre bras jusqu’à hauteur d’épaule, est dix fois moins important.
Cela vous permet de remettre en mouvement des articulations douloureuses sans passer par une phase de douleurs aigües décourageante.
Et la natation présente plein d’autres avantages en matière de santé :
- favorise l’endurance et le développement de la masse musculaire ;
- améliore la performance cardiovasculaire ;
- améliore les capacités respiratoire, et facilite la perte de poids.
Vos efforts et vos douleurs divisés par 10
La température de l’eau dans une piscine (autour de 24° ou plus encore si vous allez dans des centres thermaux) réchauffe déjà vos articulations, même si souvent vous trouvez l’eau un peu froide en y entrant, car elle est en général plus élevée que la température ambiante.
De plus, vous n’êtes pas obligé de nager, marcher dans l’eau est aussi un excellent exercice. Lorsque vous marchez dans l’eau, le poids sur les articulations est déjà réduit de 50 %. Aussi, la résistance de l’eau est 12 fois plus élevée que celle de l’air : cela signifie que vous faites moins souffrir vos articulations, mais que vous faites davantage travailler vos muscles. Et vous brûlez plus de calories que lorsque vous marchez hors de l’eau.
La piscine vous refroidit ? Faites l’effort d’essayer une fois
Vous avez une petite réticence psychologique ? Vous pensez que la piscine c’est pour les enfants et les jeunes ? Vous n’avez pas envie de vous montrer en maillot de bain ?
Sachez que la piscine c’est comme la plage, c’est à tout le monde ! Vous rencontrerez plein de personnes de votre âge et certaines plus âgées également. Personne ne vous jugera : tout le monde est là pour améliorer sa forme.
Après tout, une cure thermale, qu’est-ce d’autre qu’un séjour prolongé et répété à la piscine ?
Le traitement de l’arthrose représente plus des 3/4 des prescriptions en cure thermale. Leur efficacité a été démontrée par l’étude ThermArthrose qui a comparé des patients ayant suivi une cure avec des patients ayant suivi des traitements habituels.
Le résultat : 50,8 % des patients ayant fait une cure ont constaté une amélioration importante. Et la réduction de la douleur après 9 mois était 3 fois plus importante dans le groupe ayant fait une cure[6].
Votre mini cure thermale à la maison.
Pas de piscine ou de centre thermal proche de chez vous ?
Vous pouvez faire des exercices de mobilisation articulaire dans votre bain. Les mains, les poignets, les genoux, les pieds, certains mouvement auxquels vous avez pris l’habitude de renoncer peuvent être réalisés dans l’eau chaude de manière moins douloureuse. Plus vous parviendrez à remettre votre articulation en route, moins elle sera douloureuse ensuite, même si bien sûr les progrès vont être lents.
Vous n’avez pas de baignoire, ou l’eau vous fait horreur ? Appliquez le même principe : remettre en mouvement vos articulations douloureuses, dans des situations où vous leur imposez moins d’efforts.
Douleurs au genou : faites quelques exercices assis, jusqu’à ce que votre articulation soit chaude.
Douleurs aux épaules : réduisez le poids portant sur votre articulation en allégeant votre bras. Posez votre bras sur le dossier d’une chaise, ou attrapez une poignée en hauteur, et réchauffez votre articulation en bougeant votre corps autour de l’articulation.
Vous pouvez aussi masser l’articulation douloureuse avant de la solliciter.
Votre objectif doit être de surmonter ces premières douleurs qui vous empêchent de vous mettre en mouvement. Si vous y arrivez, en trouvant le petit truc qui les rend supportables, vous allez sortir du cercle vicieux. En redynamisant ces articulations, vous allez augmenter la circulation de liquide synovial, et elles devraient mieux se porter !
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